Recouvrer les pénalités de retard avant l'établissement du décompte général et définitif
En principe, la règle d’unicité du décompte général et définitif (DGD) s’oppose à ce que le maître d’ouvrage public puisse émettre un titre de recettes exécutoire pour le recouvrement des pénalités de retard avant l’établissement du DGD. Mais un arrêt récent montre que le contrat peut déroger à ce principe.
Par Tony Janvier, avocat la Cour
La plupart des maîtres d’ouvrage publics ont le privilège de pouvoir émettre des titres de recettes exécutoires leur permettant, telle une décision de justice, de constater et poursuivre l’exécution forcée de leurs créances.
De ce fait, le recours au juge leur est même en principe interdit, excepté notamment en matière contractuelle (1).
Bien entendu, un tel pouvoir s’exerce sous le contrôle du juge. Le débiteur peut en effet former un recours en annulation contre le titre de recettes, un tel recours ayant du reste un effet suspensif.
Sur le fond, la légalité du titre de recettes est notamment subordonnée au caractère liquide et exigible de la créance en cause.
La créance doit être liquide et exigible
En pratique, le montant des acomptes restant dus à l’entrepreneur n’est pas toujours suffisant pour que le maître d’ouvrage puisse précompter l’intégralité des pénalités de retard éventuellement encourues par celui-ci au fur et à mesure de l’exécution du marché. Dans ce cas, plutôt que d’attendre l’établissement du décompte général et définitif (DGD), le maître d’ouvrage peut être tenté d’émettre un titre de recettes exécutoire.
Mais selon une position commune à plusieurs cours administratives d’appel (2), une telle démarche encourt la censure. En effet, les pénalités de retard ainsi mises en recouvrement par le maître d’ouvrage ne peuvent être regardées, eu égard à la règle d’unicité du DGD, comme étant liquides et exigibles avant l’établissement dudit décompte (3).
Au demeurant, le Conseil d’Etat précise que le caractère liquide et exigible de la créance du maître d’ouvrage relative au solde débiteur du marché, qui peut donc en principe seule donner lieu à l’émission d’un titre de recettes exécutoire, suppose que le décompte général ait été régulièrement établi (4).
Toutefois, par exception à la règle d’unicité du DGD, les stipulations particulières du marché (CCAP) peuvent autoriser le maître d’ouvrage à émettre un titre de recettes exécutoire pour le recouvrement des pénalités de retard.
A force d'être répétée, et compte tenu de l’abstraction qu’elle semble faire des stipulations du marché, la formule jurisprudentielle précitée d’où se déduit la règle d’unicité du DGD (cf. note de bas de page n° 3) pouvait apparaître comme l’expression d’un principe d’ordre public.
Le Conseil d’Etat a toutefois récemment confirmé que l’unicité du DGD est une règle de nature contractuelle, en jugeant que si les parties à un marché public peuvent toujours convenir d’en solder les comptes dans un décompte général et définitif, elles n’y sont pas tenues (5). Mais pour ce qui est des marchés publics de travaux, la pratique, issue notamment du CCAG travaux, est systématiquement de convenir de solder les comptes du marché dans un décompte général et définitif.
Cela correspond du reste à une obligation tirée des dispositions réglementaires interdisant les règlements partiels définitifs, auxquelles sont soumis, par exception, la plupart des marchés publics de travaux ; seuls sont alors possibles des aménagements ponctuels à la règle d’unicité du décompte compatibles avec cette interdiction.
Tout dépend du CCAP
Précisément, ainsi que la cour administrative d’appel de Nancy vient de l’admettre dans un arrêt du 9 juin 2016, le CCAP du marché peut tout à fait prévoir, par dérogation à la règle d’unicité du DGD, que les pénalités de retard peuvent donner lieu à l’émission d’un titre de recettes exécutoire en cours d’exécution du marché (6).
Toutefois, sauf précision contraire, il nous semble que le maître d’ouvrage n’est pas pour autant dispensé de reprendre la créance correspondante dans le décompte général si, au moment de le signer, le titre de recettes n’est toujours pas à l’abri de toute contestation de la part de l’entrepreneur (7), sous peine d’être considéré comme ayant définitivement renoncé à ladite créance, ce qui constituerait alors un motif d’annulation du titre de recettes.
(1) CE, 24 février 2016, "Département de l’Eure", n° 395194.
(2) Voir par exemple : CAA Paris, 4 octobre 2013, "SIEVD", req. n° 10PA01260 ; CAA Nantes, 8 février 2013, "Sté AB Construction", req. n° 11NT02221 ; CAA Nancy, 26 avril 2012, "SAS Jean Lefebvre Alsace", req. n° 11NC01008 ; CAA Versailles, 2 juillet 2009, "Sté Aathex", req. n° 07VE01106 ; CAA Bordeaux, 4 octobre 2007, "Sté Les Grands travaux du bassin Aquitaine", req. n° 04BX01178 ; CAA Lyon, 27 décembre 2007, "Sté Copibat", req. n° 03LY01501.
(3) Pour rappel, la règle dite d’unicité (ou d’indivisibilité) du décompte dans les marchés publics de travaux trouve sa source dans une jurisprudence aussi ancienne que constante du Conseil d’Etat, selon laquelle : « L’ensemble des opérations auxquelles donne lieu l'exécution d'un marché de travaux publics est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde arrêté lors de l'établissement du décompte général et définitif détermine les droits et obligations définitifs des parties » (voir par exemple : CE, 8 décembre 1961, "Sté Nouvelle Compagnie générale des travaux", req. n° 44994 ; CE, 4 décembre 1987, "Commune de la Ricamanie", req. n° 56108 ; CE, 2 avril 2004, "Sté Imhoff", req. n° 257392 ; CE, 20 mars 2013, "Centre Hospitalier de Versailles", n° 357636). En d’autres termes, en principe, les parties à un marché public de travaux ne peuvent, au titre de l’exécution dudit marché, se prévaloir d’aucune créance liquide et exigible autre que le solde (débiteur ou créditeur) arrêté lors de l’établissement (amiable ou judiciaire) du décompte général et définitif.
(4) CE, 27 octobre 2010, "CH des quatre Villes", req. n° 332056.
(5) CE, 3 novembre 2014, "Sté Bancillon BTP", n° 372040.
(6) CAA Nancy, 9 juin 2016, "SA Marwo c. Dpt du Bas-Rhin", req. n° 15NC01477.
(7) A cet égard, la vigilance est plus que de mise pour le maître d’ouvrage, car en pratique, les modalités de notification des titres de recettes exécutoires mises en œuvre par les comptables publics ne sont pas toujours de nature à déclencher le délai de recours, loin s’en faut.
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