Ajournement des travaux : la juste indemnisation de l’entrepreneur

Marchés publics -

Garde du chantier, immobilisation du personnel et du matériel, perte de matériaux… les frais que le maître d’ouvrage doit assumer sont nombreux.

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Le régime juridique de l’ajournement des travaux dans le cadre d’un marché public est prévu par l’article 49.1.1 du CCAG travaux de 2009 (qui reprend l’article 48.1 de l’ancienne version). Cet article dispose que :

« L’ajournement des travaux peut être décidé par le représentant du pouvoir adjudicateur.
Il est alors procédé, suivant les modalités indiquées à l’article 12, à la constatation des ouvrages et parties d’ouvrages exécutés et des matériaux approvisionnés.
Le titulaire, qui conserve la garde du chantier, a droit à être indemnisé des frais que lui impose cette garde et du préjudice qu’il aura éventuellement subi du fait de l’ajournement.
Une indemnité d’attente de reprise des travaux peut être fixée suivant les modalités prévues aux articles 14.3. et 14.4. »

La notion d’ajournement est entendue strictement

Il n’y a ajournement, au sens de l’article 49.1.1 précité du CCAG travaux, que si le maître d’ouvrage décide formellement de différer le début des travaux ou d’en suspendre l’exécution.
Ces stipulations ne trouvent donc pas à s’appliquer en cas de simple décision de prolongation du délai d’exécution des travaux tirant les conséquences d’un retard (CE, 27 octobre 2010, n° 323485 ; CAA Lyon, 9 janvier 2014, n° 12LY01997 ; CAA Versailles, 15 juillet 2011, n° 09VE02174). Dans ce cas, seule une sujétion technique imprévue ou une faute du maître d’ouvrage est de nature à engager la responsabilité de ce dernier à l’égard de l’entrepreneur à qui le retard a causé un préjudice - étant précisé qu’en matière de marchés à forfait, les sujétions techniques imprévues n’ouvrent droit à indemnisation que si l’économie du contrat a été bouleversée (CE, 12 novembre 2015, n° 384716).

Le maître d’ouvrage est de plein droit responsable des conséquences de l’ajournement

Selon le juge administratif, il résulte de l’article 49.1.1 du CCAG travaux que le maître d’ouvrage est de plein droit responsable, c’est-à-dire même sans faute de sa part, du préjudice subi par l’entrepreneur du fait de l’ajournement (CAA Paris, 16 juin 2015, n° 13PA00368 ; CAA Nancy, 29 mai 1997, n° 96NC02064).
Les raisons pour lesquelles le maître d’ouvrage a été amené à prendre cette décision (par exemple, faute d’un autre intervenant ou fait du tiers) importent peu. Il n’y a que si l’ajournement est la conséquence d’une faute de l’entrepreneur lui-même que le maître d’ouvrage peut échapper à sa responsabilité (CE, 21 février 2000, n° 187257 ; CAA Nantes, 28 juillet 2015, n° 13NT01133).

L’importance du constat contradictoire

A moins que les travaux n’aient pas encore débuté et qu’il ne s’agisse que d’en différer le commencement (CAA Versailles, 15 juillet 2011, n°09VE02174), la première chose à faire une fois l’ajournement prononcé est de procéder à un constat contradictoire des ouvrages ou parties d’ouvrage exécutés, des matériaux approvisionnés ainsi que des matériels et personnels présents sur le chantier, suivant les modalités de l’article 12 du CCAG travaux.
Si l’entrepreneur n’est pas rapidement convoqué à des opérations de constatations contradictoires, il lui appartient, en vue de sauvegarder ses droits, d’en faire la demande conformément aux stipulations des articles 12.4 et le cas échéant 12.6 du CCAG travaux. A défaut, il s’expose au risque de ne pas pouvoir justifier devant le juge tout ou partie de son préjudice (CE, 28 mai 2001, n°203674 et n°204132 ; CAA Douai, 21 juillet 2015, n° 13DA00968 ; CAA Bordeaux, 23 juin 2014, n° 12BX02551).
S’il n’est donné aucune suite à sa demande de procéder au constat contradictoire, l’entrepreneur a alors tout intérêt à recourir aux services d’un huissier de justice. Dans ce cas, c’est le maître d’ouvrage qui, pour avoir privé l’entrepreneur d’un moyen de preuve de son préjudice, s’expose au risque de ne pas être entendu par le juge s’il conteste les justifications produites (CAA Bordeaux, 8 février 2011, n° 10BX00730).

Les chefs de préjudice indemnisables

Seuls les chefs de préjudices dont l’entrepreneur établit la réalité (CAA Marseille, 10 juin 2014, n° 10MA00860), justifie le quantum (CAA Paris, 23 octobre 2015, n° 14PA04736) et prouve le lien direct de cause à effet avec l’ajournement (CAA Nancy, 25 juillet 2014, n° 13NC00701), sont indemnisables (voir encore CAA Bordeaux, 31 octobre 2013, n° 12BX03201 ; CAA Marseille, 11 janvier 2013, n° 10MA02908 ; CAA Bordeaux, 8 février 2011, n° 10BX00730). Il peut notamment s’agir :
- de coûts liés aux mesures conservatoires nécessaires pour protéger les travaux exécutés, ainsi que des frais de garde du chantier (palissade, gardiennage…) (CAA Versailles, 29 décembre 2011, n° 08VE02420) ;
- de coûts liés aux matériaux et consommables qui ont été approvisionnés sur le chantier, et qui du reste ne sont pas forcément réutilisables (stockage, transport sur un autre chantier, perte, revente avec perte…) (CAA Bordeaux, 8 février 2011, n° 10BX00730 ; CAA Marseille, 29 mai 2006, n° 03MA00366) ;
- de coûts liés aux personnels (CAA Paris, 16 juin 2015, n°13PA00368 ; CAA Bordeaux, 23 juin 2014, n° 12BX02551 ; CAA Lyon, 9 janvier 2014, n° 12LY01997 ; CAA Bordeaux, 31 octobre 2013, n° 12BX03201 ; CAA Bordeaux, 5 avril 2011, n° 09BX01003) et aux matériels (CAA Bordeaux, 23 juin 2014, n° 12BX02551 ; CAA Bordeaux, 31 octobre 2013, n° 12BX03201 ; CAA Bordeaux, 5 avril 2011, n° 09BX01003) immobilisés sur le chantier, dans la limite de la possibilité de les réaffecter ailleurs ;
- de coûts liés aux variations économiques durant l’interruption, justifiant l’actualisation des prix (CAA Marseille, 10 juin 2014, n° 10MA00860) ;
- de frais financiers supplémentaires (frais de découvert bancaire, extension des frais de caution et d’assurance, etc.) (CAA Marseille, 11 janvier 2013, n° 10MA02908 ; CAA Bordeaux, 8 février 2011, n° 10BX00730) ;
- de la non-couverture des frais généraux (CAA Bordeaux, 8 février 2011, n° 10BX00730).

Sauvegarder ses droits en cas d’indemnité d’attente

En cas d’ajournement, le maître d’œuvre peut notifier à l’entrepreneur, par voie d’ordre de service, une indemnité d’attente suivant les modalités des articles 14.3 et 14.4 du CCAG travaux. Si l’entrepreneur doit être consulté sur le montant de cette indemnité, son accord n’est pas requis.
Ce dernier a ensuite trente jours pour présenter ses observations au maître d’œuvre (art. 14.5 du CCAG travaux), en indiquant, avec toutes justifications utiles, le montant de l’indemnité d’attente qu’il propose - celle fixée par le maître d’œuvre s’appliquant provisoirement dans l’attente du règlement du différend.
A défaut, il est réputé avoir définitivement accepté l’indemnité d’attente fixée par le maître d’œuvre et renoncé à toute indemnisation complémentaire au titre de l’ajournement.

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Ce qu'il faut retenir

L’article 49.1.1 du CCAG travaux prévoit la marche à suivre en cas d’ajournement des travaux décidé par le maître d’ouvrage public.

Ce dernier est responsable de plein droit du préjudice subi par l’entrepreneur. A moins que l’ajournement ne soit la conséquence d’une faute de l’entrepreneur lui-même…
Une formalité essentielle doit être accomplie une fois l’ajournement prononcé : il s’agit du constat contradictoire des ouvrages exécutés, des matériaux approvisionnés et des matériels et personnels présents sur le chantier.


Si les chefs de préjudice indemnisables sont divers et variés, il appartient à l’entrepreneur d’en établir la réalité et le quantum, ainsi que le lien de causalité avec l’ajournement. En cas de notification d’une indemnité d’attente par voie d’ordre de service, l’entrepreneur a trente jours pour contester son montant dans les conditions de l’article 14.5 du CCAG travaux, sous peine de forclusion.

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