Définition du besoin dans le cadre des concessions : définir n’est pas prescrire

Dans son article publié dans la revue Contrats Publics (Actualités Moniteur Juris) n° 249 – janvier 2024, Emmanuel Perois, avocat associé au Cabinet Parme Avocats, s’intéresse à l’obligation pesant sur les autorités concédantes de déterminer leurs besoins en matière concessive et l’étendue de cette obligation.

Par deux arrêts rendus dans le courant de l’année 2023, le Conseil d’État a eu à revenir sur l’obligation pesant sur les autorités concédantes relativement à la portée de cette obligation, et plus particulièrement sur l’étendue de cette obligation[1].

Pourquoi, alors que l’obligation posée aux acheteurs est presque similaire en matière de concession et de marché public, le juge est-il amené à opérer un contrôle différent sur l’étendue de cette obligation selon le type de contrat et, in fine, jusqu’où va cette obligation pour les autorités concédantes ?

Une obligation a priori commune entre marchés publics et concessions, mais le diable se cache dans les détails.

Le Code de la commande publique n’impose aux autorités concédantes que de déterminer « la nature et l’étendue des besoins à satisfaire ». Si cette obligation paraît commune, à celle imposée aux acheteurs en matière de marchés publics, il n’en demeure pas moins que l’article L. 2111-1 du Code de la commande publique pose une différence discrète mais notoire en marchés publics en précisant que la nature et l’étendue des besoins à satisfaire doivent être déterminés « avec précision ».

Cette différence sémantique n’est pas sans conséquence, notamment en terme contentieux.

L’analyse de la jurisprudence fait ainsi apparaître que le juge administratif trouve plus facilement à accueillir favorablement un moyen tenant à l’imprécision de la définition des besoins dans le domaine des marchés publics que dans le domaine des concessions.

Contrairement aux marchés publics, dans le domaine des concessions, le Conseil d’État n’oblige pas les autorités concédantes à définir leurs besoins « avec précision ». La jurisprudence n’impose aux autorités concédantes que de porter à la connaissance des candidats une « information suffisante sur la nature et l’étendue des besoins à satisfaire ». 

Les raisons : une portée de l’obligation différente selon la nature du contrat à conclure

Pourquoi une telle différence de traitement ? À suivre, les conclusions du rapporteur public, M. Nicolas Labrune, dans ses conclusions sous l’arrêt Saint Armand les Eaux[2], cette différence serait la conséquence de « la logique même de la concession qui implique, par nature, de donner à un opérateur une forme de marge de manœuvre sur la stratégie commerciale du service concédé[3] ».

En effet, si les concessions et les marchés publics ont comme point commun d’être des contrats de la commande publique, ils répondent néanmoins à des logiques différentes. Les marchés publics visent à l’exécution de prestations et ou de travaux strictement définis, il est alors normal, comme le relève le Rapporteur public Marc Pichon de Vendeuil[4], que l’acheteur indique l’intégralité des travaux ou prestations à réaliser.  

À l’inverse, les concessions ont pour finalité de confier la gestion d’un service ou l’exploitation d’un ouvrage à un opérateur, à ses « risques et périls » : la concession pose donc une finalité plus large (l’exploitation d’un service) qu’un marché public (la réalisation de prestations définies) et au demeurant, l’exécution du contrat se fait aux risques du concessionnaire.

Il est donc logique que le concessionnaire détermine la stratégie économique et commerciale liée à l’exécution d’un service dès lors qu’il en assume le risque qui découlerait d’une mauvaise exécution et notamment une exploitation de l’ouvrage ou du service.

Pour ces raisons, si l’obligation de définir ses besoins est commune à ces deux types de contrat avec pour objectif d’assurer une égalité de traitement des candidats, la portée de celle-ci s’en diffère sensiblement en ce qu’en concession, le besoin s’il doit être défini, n’a pas besoin de l’être précisément, en d’autres mots, définir n’est pas prescrire.

L’étendue de la portée de l’obligation de déterminer ses besoins en matière de concession

Si, dans le domaine des concessions, cette obligation paraît souple à l’aune d’une première lecture, le Conseil d’État apporte toutefois quelques précisions sur la portée de cette obligation.

Ainsi, s’agissant de l’« étendue des besoins à satisfaire », le Conseil d’État précise qu’il appartient aux autorités concédantes : «  d’indiquer aux candidats les caractéristiques essentielles de la concession et la nature et le type des investissements attendus ainsi que les critères de sélection des offres » .

En conséquence, les procédures sanctionnées d’irrégularité pour insuffisance de définition des besoins dans le domaine des concessions sont rares.

Ce principe a d’ailleurs été récemment rappelé par le Conseil d’Etat dans son affaire Commune de Ramatuelle[5].

Dans cette affaire, le Conseil d’État a ainsi censuré la cour administrative de Marseille qui avait prononcé la résiliation de sous contrats de concession au motif d’une insuffisante définition des besoins en ce que la commune de Ramatuelle n’avait pas précisé aux candidats le niveau de standing attendu pour chaque établissement. Le Conseil d’État censure cette décision en considérant que la commune « n’était pas tenue de définir cet élément de la stratégie commerciale des établissements exploités sur chacun des lots ».

Ce faisant, le Conseil d’État réintègre le principe selon lequel la stratégie commerciale et d’investissement à mettre en place dans une concession relèvent du candidat et qu’elle n’a pas à être déterminée obligatoirement par l’autorité concédante.

La définition d’un programme de travaux précis n’est donc qu’une faculté pour l’autorité concédante. Toutefois, lorsqu’elle le fait, elle est tenue de s’y tenir et s’en trouve lié.

Mais il doit être relevé que le Conseil d’État a sanctionné sur ce fondement une procédure relative à l’attribution d’un contrat de concession pour la création et l’exploitation d’un réseau de chaleur urbain dans laquelle l’autorité concédante avait autorisé les candidats à proposer une variante libre portant sur le périmètre du réseau de chaleur, couplé à une indétermination de la durée du contrat, laquelle dépendait des investissements proposés par les candidats en fonction du périmètre déterminé par les seuls candidats[6].

En résumé, si une autorité concédante est tenue de déterminer son besoin, elle n’est pas tenue de le faire de façon « précise » dès lors qu’elle n’a pas besoin de prescrire un programme de travaux par exemple, à l’inverse de ce à quoi elle est tenue dans le domaine des marchés publics. L’indication des caractéristiques essentielles du contrat dont sa durée, la nature et l’étendue des besoins à satisfaire (périmètre géographique notamment) et l’indication des critères de jugement, offre une information suffisante aux candidats, charge à eux de déterminer une stratégie commerciale et d’investissement la plus pertinente en tant que futur concessionnaire qui assumera la responsabilité économique de son offre.

L’article complet est à découvrir ici.


[1] CE 10 mars 2023, req. n° 464816

CE 13 octobre 2023, req. n° 464955

[2] CE 6 novembre 2020, req. n° 437946.

[3] Concl. de M. Nicolas Labrune, sous CE 10 mars 2023, Commune de Ramatuelle, req. n° 464816.

[4] Concl. de M. Marc Pichon de Vendeuil, sous CE 6 novembre 2020, req. n° 437946.

[5] CE 10 mars 2023, Commune de Ramatuelle, req. n° 464816.

[6] CE 15 novembre 2017, Cne du Havre, req. n° 412644