Brève juridique : deux décisions importantes du Conseil d’Etat en matière d’autorisation d’urbanisme

Le Conseil d’Etat a rendu deux décisions importantes en matière d’autorisation d’urbanisme en décembre 2023. Découvrez les commentaires de l’équipe urbanisme du Cabinet.

Conseil d’Etat, 1er décembre 2023, n° 448905

(Décision du CE disponible ici)

Dans cette affaire, le Conseil d’Etat a été appelé à se prononcer sur le principe et les règles relatifs à l’évolution d’un projet durant la phase d’instruction de la demande d’autorisation d’urbanisme, et avant l’intervention d’une décision expresse ou tacite.

Le juge du Palais Royal note tout d’abord qu’aucune disposition du code de l’urbanisme ne fait obstacle à ce que l’auteur d’une demande de permis de construire puisse apporter des modifications à son projet, pendant la phase d’instruction de sa demande, et reconnait qu’en principe, une modification des pièces de la demande de permis de construire en cours d’instruction n’a pas pour effet d’affecter le délai d’instruction, et donc ne fait pas obstacle à l’obtention éventuelle d’une décision tacite. Ainsi, si les modifications apportées au projet n’ont pas pour effet d’en changer la nature, elles n’ont pas d’incidence sur la date de naissance d’une autorisation tacite.

Le Conseil d’Etat apporte ensuite un tempérament à ce principe en précisant que lorsque la pièce complémentaire modifie de façon substantielle le projet, un nouveau délai d’instruction peut alors être notifié au pétitionnaire de la demande, notamment eu égard à l’importance, à l’objet ou à la date à laquelle cette modification du projet a été apportée. Dans cette hypothèse, le service instructeur est considéré comme étant saisi d’une nouvelle demande qui se substitue à la demande initiale. Cependant, cette possibilité est encadrée dès lors que la notification de ce nouveau délai d’instruction doit intervenir avant la naissance d’une décision tacite.

« 4. En l’absence de dispositions expresses du code de l’urbanisme y faisant obstacle, il est loisible à l’auteur d’une demande de permis de construire d’apporter à son projet, pendant la phase d’instruction de sa demande et avant l’intervention d’une décision expresse ou tacite, des modifications qui n’en changent pas la nature, en adressant une demande en ce sens accompagnée de pièces nouvelles qui sont intégrées au dossier afin que la décision finale porte sur le projet ainsi modifié. Cette demande est en principe sans incidence sur la date de naissance d’un permis tacite déterminée en application des dispositions mentionnées ci-dessus. Toutefois, lorsque du fait de leur objet, de leur importance ou de la date à laquelle ces modifications sont présentées, leur examen ne peut être mené à bien dans le délai d’instruction, compte tenu notamment des nouvelles vérifications ou consultations qu’elles impliquent, l’autorité compétente en informe par tout moyen le pétitionnaire avant la date à laquelle serait normalement intervenue une décision tacite, en lui indiquant la date à compter de laquelle, à défaut de décision expresse, la demande modifiée sera réputée acceptée. L’administration est alors regardée comme saisie d’une nouvelle demande se substituant à la demande initiale à compter de la date de la réception par l’autorité compétente des pièces nouvelles et intégrant les modifications introduites par le pétitionnaire. Il appartient le cas échéant à l’administration d’indiquer au demandeur dans le délai d’un mois prévu par l’article R. 423-38 du code de l’urbanisme les pièces manquantes nécessaire à l’examen du projet ainsi modifié. »

NOTRE COMMENTAIRE

Pour les services instructeurs, cette décision a un impact pratique important. Ainsi, dès réception de nouvelles pièces par le pétitionnaire en cours d’instruction d’une demande d’autorisation d’urbanisme, il convient pour le service instructeur concerné d’en examiner la nature, et l’objet, ainsi que la date de communication de ces éléments afin de déterminer si ces nouveaux éléments sont susceptible d’affecter la durée d’examen du dossier et d’emporter la nécessaire notification d’un nouveau délai d’instruction, à défaut de laquelle le pétitionnaire pourra se prévaloir, le cas échéant, d’une décision tacite. Il convient de suivre avec attention les applications qui seront faites par les juges du fond de cette question.

Conseil d’Etat, 20 décembre 2023, n° 461552rp

(Décision du CE disponible ici)

Dans cette seconde affaire, le Conseil d’Etat a été appelé à se prononcer sur les conséquences d’inexactitudes ou d’omission d’un arrêté de permis de construire sur sa légalité, notamment s’agissant de la destination ou des surfaces de la construction autorisée.

Rappelons qu’aux termes du premier alinéa de l’article A. 424-9 du code de l’urbanisme : « Lorsque le projet porte sur des constructions, l’arrêté indique leur destination et, s’il y a lieu, la surface de plancher créée ».

En l’espèce, le Conseil d’Etat précise dans un considérant de principe qu’« un permis de construire, sous réserve des prescriptions dont il peut être assorti, n’a pour effet que d’autoriser une construction conforme aux plans déposés et aux caractéristiques indiquées dans le dossier de demande de permis ».

Le Conseil d’Etat en déduit que la seule circonstance que l’arrêté délivrant un permis de construire comporte des inexactitudes ou des omissions en ce qui concerne la ou les destinations de la construction qu’il autorise, ou encore la surface de plancher créée, n’a donc pas d’incidence sur la portée et sur la légalité du permis accordé, dès lors que ces mentions n’ont qu’une portée indicative :

« 4. Un permis de construire, sous réserve des prescriptions dont il peut être assorti, n’a pour effet que d’autoriser une construction conforme aux plans déposés et aux caractéristiques indiquées dans le dossier de demande de permis. D’éventuelles erreurs susceptibles d’affecter les mentions, prévues par l’article A. 424-9 du code de l’urbanisme, devant figurer sur l’arrêté délivrant le permis ne sauraient donner aucun droit à construire dans des conditions différentes de celles résultant de la demande. Par suite, la seule circonstance que l’arrêté délivrant un permis de construire comporte des inexactitudes ou des omissions en ce qui concerne la ou les destinations de la construction qu’il autorise, ou la surface de plancher créée, est sans incidence sur la portée et sur la légalité du permis. Il y a lieu de substituer ce motif, dont l’examen n’implique l’appréciation d’aucune circonstance de fait, et qui justifie sur ce point le dispositif de l’arrêt attaqué, à celui retenu par la cour administrative d’appel pour écarter le moyen tiré de l’illégalité du permis de construire attaqué au regard des dispositions de l’article A. 424-9 du code de l’urbanisme. »

NOTRE COMMENTAIRE

Cela emporte deux conséquences en pratique :

  • Tout d’abord, les éventuelles erreurs susceptibles d’affecter les mentions figurant sur l’arrêté de permis ne donnent aucun droit à construire dans des conditions différentes de celles indiquées par le pétitionnaire dans sa demande de permis de construire ;
  • Ensuite, du point de vue du contentieux, un moyen d’annulation exclusivement fondé sur les inexactitudes ou les omissions d’un arrêté de permis de construire (exception faite de celles pouvant figurer dans des prescriptions particulières dont il est éventuellement assorti) est en conséquence inopérant.

Cette double précision du Conseil d’Etat est bienvenue pour les praticiens, et s’inscrit dans la ligne de pragmatisme de la jurisprudence relatives aux autorisations d’urbanisme.

Emmanuel Guillini
Avocat associé

Aurélie Surteauville
Avocate