La chronique du référé

Chaque mois, le Cabinet se penche sur les décisions intéressantes obtenues par le Cabinet ou identifiées comme telles en matière de contentieux des contrats publics et notamment en référé précontractuel.


TA Lyon, 2 février 2024, req. N°2400410, Saint Etienne-Métropole : deux sociétés entretenant des liens capitalistiques entre elles peuvent participer à la même consultation, sous réserve de jouir d’une autoNomie commerciale.

Dans une affaire où le cabinet représentait les intérêts de l’acheteur, deux sociétés appartenant, indirectement, au même groupe avaient été désignées attributaires de deux lots d’une même consultation alors que le règlement de consultation limitait le nombre de lots pouvant être obtenus par un opérateur économique à un.

Un candidat évincé faisait donc valoir que l’acheteur avait méconnu son règlement de consultation en attribuant plusieurs lots à différentes entités qui appartenaient en réalité au même groupe.

Pour juger de cette situation, le juge des référés applique donc la solution dégagée par la CJUE et reprise par le Conseil d’Etat selon laquelle aucune règle « ne prévoit d’interdiction générale, pour des entreprises liées entre elles, de présenter des offres dans une procédure de passation de marchés publics » (CJUE, 17 mai 2018 « Ecoservice projektai » UAB, C-531/16).

La limite à cette possibilité étant de vérifier que ces deux sociétés ne doivent pas avoir une « absence d’autonomie commerciale, résultant notamment des liens étroits entre leurs actionnaires ou leurs dirigeants, qui peut se manifester par l’absence totale ou partielle de moyens distincts ou la similarité de leurs offres pour un même lot » (CE, 8 décembre 2020, Métropole Aix-Marseille-Provence, n°436532).

C’est précisément la solution que met en application le TA de Lyon en jugeant que les deux sociétés bien qu’étant des filiales du même groupe et sont présidées par la même personne, n’avaient toutefois « pas de liens capitalistiques directs, qu’elles ont des sièges sociaux distincts et qu’elles disposent de moyens humains et matériels propres, manifestant leur autonomie commerciale ».

Ce faisant, le TA se livre à une analyse casuistique de la situation pour déterminer si, capitalistiquement liées ou non, les deux sociétés disposaient d’une autonomie commerciale.


Tribunal administratif de Montreuil, 12 janvier 2024, n° 2315368 : attention à la communication des élus

Le tribunal administratif de Montreuil, a rendu une décision relativement rare récemment, puisque le tribunal administratif devait se prononcer sur un moyen relatif à l’impartialité d’un acheteur découlant d’une prise de position d’un élu sur facebook.

La Commune de Sevran avait lancé une procédure de mise en concurrence pour l’attribution d’un contrat de délégation de service public relatif à l’exploitation de marchés forains. Le candidat évincé, qui était l’exploitant sortant, conteste la décision de rejet de son offre en évoquant la méconnaissance du principe d’impartialité et de neutralité des élus.

En cause, un commentaire du Président de la Commission de délégation de service public de la Commune qui avait publié sur les réseaux sociaux un commentaire négatif envers l’ancien exploitant en indiquant que le marché était mal géré et que le renouvellement du contrat était « l’occasion de le réformer », et ce, quelques jours avant la date limite de remise des candidatures.

Une telle prise de position critique visait directement l’exploitant sortant, en charge à cette date de la gestion de ce marché urbain et candidate à sa succession, et constituait une atteinte à l’impartialité de la commission de l’article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales.

Par la suite, et c’est plus étonnant, le tribunal considère que dans la mesure où la société requérante a obtenu une note sensiblement inférieure à celle de l’attributaire, elle bénéficiait d’un intérêt lésé à contester la procédure dans la mesure où les propos tenus par le président de la CDSP aurait pu avoir une influence sur l’analyse des offres et le critère technique.

Etonnant dans la mesure où la CDSP n’a pas pour rôle d’émettre un avis sur les offres finales remises par les candidats et encore moins de noter les offres finales ou de désigner un titulaire pressenti.

Pourtant, le Tribunal retient que « Un défaut d’impartialité de la commission en charge de la préparation du rapport d’évaluation des offres est, dès lors, susceptible de l’avoir lésée et elle peut utilement se prévaloir de ce manquement et annule la procédure « .


Conseil d’Etat, 2 février 2024, req. n° 489820, SEDIF : attention aux aspects les plus formels d’une procédure de mise en concurrence

Dénouement attendu (et entendu) dans le cadre du contentieux opposant Suez au SEDIF et relatif à l’attribution du contrat de délégation de service public de l’eau potable.

Les faits sont désormais bien connus : à la suite d’un dysfonctionnement informatique, la société Veolia avait eu accès à des données confidentielles de l’offre de la société concurrente. Face à ce dysfonctionnement, le SEDIF avait décidé de cesser les négociations et décidé que le contrat de concession serait attribué au regard des offres intermédiaires remises par les soumissionnaires, ce que contestait le candidat évincé.

Faisant application d’une jurisprudence connue (CE, 08/11/2017, 412859, Transdev), le CE fait primer le principe d’égalité de traitement des candidats sur l’obligation pour un acheteur de respecter des étapes essentielles de la procédure prévues par le règlement de consultation et prévoyant la remise d’une offre finale par les candidats.

Par ailleurs, le Conseil d’Etat juge également que le tribunal administratif avait commis une erreur de droit en estimant que, dans le cadre de la procédure en litige, visant au renouvellement de la délégation du service public de l’eau potable, le SEDIF agissait en qualité d’entité adjudicatrice alors qu’un acheteur agit en qualité de pouvoir adjudicateur lorsqu’il confie à un tiers l’exploitation du réseau d’eau dont il a la charge.

Ce faisant, le Conseil d‘Etat réaffirme la distinction entre un acheteur (i) déléguant formellement l’exploitation de son réseau par voie de délégation de service public – dans ce cas, l’acheteur est un pouvoir adjudicateur, de (ii) la situation où l’acheteur lance une procédure visant à la réalisation d’investissements bénéficiant au réseau dont il est propriétaire, et dans ce cas, l’acheteur est une entité adjudicatrice.

Enfin, le Conseil d’Etat juge que le fait que le candidat destinataire a par erreur téléchargé des informations relatives à l’offre de son concurrent n’est pas tenu de faire l’objet d’une mesure d’exclusion de la procédure dès lors que ce dernier s’est manifesté auprès de l’acheteur, quand bien même, il avait téléchargé les documents dont il ne pouvait pas ignorer qu’ils lui avaient été transmis par erreur.


TA Martinique, 06/02/2024, n°2400013 : une offre inacceptable est susceptible d’être caractérisée y compris lorsque le montant de l’offre est inférieur au montant maximal du marché à conclure

Ordonnance intéressante rendue par le tribunal administratif de la Martinique s’agissant de la caractérisation d’une offre inacceptable.

Rappelons qu’aux termes de l’article L2152-3 du Code de la commande publique, une offre inacceptable est une offre dont le « prix excède les crédits budgétaires alloués au marché, déterminés et établis avant le lancement de la procédure ».

De jurisprudence constante, pour déclarer une offre inacceptable, l’acheteur doit démontrer que les crédits alloués à la prestation sont manifestement insuffisants et non simplement que l’offre excède le montant estimatif du marché ou s’avère plus onéreuse que les estimations initiales.

Dès lors que les crédits budgétaires alloués, par l’acheteur, lui donne la possibilité d’accepter l’offre, celle-ci ne peut être rejetée comme inacceptable et ce, quand bien même son prix serait largement supérieur à l’estimation des services (Rép. min. n° 05463, JO Sénat, 22 août 2013, p. 2441).

En l’espèce, l’offre de la société requérante dépassait significativement l’évaluation faite par l’acheteur dans sa fiche d’aide à la décision de validation du dossier de la consultation et réalisée avant la publication de l’avis public à la concurrence.

Sur la base de cette évaluation, le tribunal donne raison à l’acheteur en jugeant que l’offre était effectivement inacceptable puisqu’excédant les crédits alloués à la réalisation de la prestation.

L’intérêt de cette affaire réside dans le fait que l’acheteur avait cependant indiqué un montant maximum de l’accord cadre supérieur aux crédits alloués à la réalisation de la prestation, et le requérant faisait valoir que son offre était inférieure au montant maximum indiqué et que de fait, l’acheteur avait induit les candidats en erreur.

Le tribunal ne tient pas compte de cet argument et déclare l’offre de la société requérante inacceptable nonobstant le montant maximal de l’accord cadre.

Cette ordonnance est à rapprochée de celle récemment rendue par la Cour administrative d’appel de Paris (CAA Paris jugé 18 avril 2023, Société Actor France, n° 21PA02213), qui avait jugé, s’agissant de faits identiques, que la circonstance que le montant de l’offre présentée soit inférieur au montant maximal de l’accord-cadre à bons de commande, ne peut conduire à considérer qu’elle a été irrégulièrement écartée comme inacceptable « dès lors que l’acheteur n’était pas tenu de commander le montant maximum du marché mais seulement le montant minimum ».